- MONGOLIE (histoire)
- MONGOLIE (histoire)La Mongolie est le creuset d’où sont sorties les races turque et mongole, parentes ou proches par leur langue comme par certains traits ethniques et culturels. En cette terre dure à l’homme, l’élevage nomade s’est trouvé être la forme d’économie la mieux adaptée aux conditions naturelles. Non que l’agriculture et la vie sédendaire y aient été ignorées ou y soient impossibles, comme le prouvent les vestiges, disséminés dans les steppes, de canaux d’irrigation et de villes; mais, à l’époque historique et jusqu’à l’implantation d’une économie de type moderne en Mongolie actuelle, elles sont restées des phénomènes localisés.Et, de siècle en siècle, les «empires des steppes», selon l’heureuse formule de René Grousset, s’y sont succédé suivant un schéma à peu près immuable: d’un petit clan, luttant contre les rudesses du climat et les empiétements de ses voisins pour se maintenir dans une vie précaire, surgit un chef énergique qui s’impose peu à peu par la force de ses armes, le prestige grandissant de son nom et ses alliances matrimoniales. Il en arrive ainsi, en quelques décennies, à dominer une confédération de tribus – l’équivalent nomade de l’État sédentaire – dont il est proclamé le souverain ou qagan («grand-khan»). Son pouvoir, des immensités de l’Eurasie centrale où il s’étend de proche en proche, entre alors en conflit avec celui des peuples sédentaires limitrophes, le monde chinois en particulier. Qu’importe si à l’issue du combat le qagan, victorieux, monte sur le trône du royaume sédentaire ou si, tenu en respect, il se satisfait de sa puissance sur le monde nomade: son empire ne s’en disloque pas moins sous ses successeurs aussi promptement qu’il s’est formé, et selon un processus symétrique. Car les tribus qui avaient suivi sa fortune l’abandonnent dès les premiers signes de faiblesse pour retrouver, selon les circonstances, un rival en pleine ascension ou l’anarchie de la compétition individuelle. L’anthropologie n’a-t-elle d’ailleurs pas établi que l’ancien nomadisme d’Asie centrale reposait sur des unités familiales structurellement toutes équivalentes les unes aux autres, et que la différenciation socio-économique ne pouvait se développer que dans un contexte de conquêtes guerrières?Les Turcs propres apparaissent sous ce nom au VIe siècle et les Mongols propres (si l’on excepte quelques mentions éparses dans les annales chinoises depuis les Tang) à la fin du XIIe siècle avec Gengis-khan. Avant ces deux dates, l’historien ne peut parler respectivement que de Proto-Turcs et de Proto-Mongols, et l’attribution de chaque dynastie nomade à l’une de ces deux ethnies repose principalement sur une étude linguistique des fragments d’onomastique et de titulature parvenus jusqu’à nous par l’entremise des chroniqueurs des pays sédentaires. De fait, les confédérations des nomades étaient composites, les mêmes éléments se retrouvant sous une direction à prédominance tantôt turque et tantôt mongole. Entre ces éléments, les emprunts linguistiques et les mélanges ethniques étaient constants par les intermariages (chaque unité patrilinéaire pratiquant l’exogamie) et par les unions de fait autant que par l’influence, forcée ou libre, des maîtres de l’heure. À travers les siècles, nombreux sont les exemples de Turcs mongolisés et de Mongols turcisés. Les Timourides, les face="EU Caron" アagataides, les souverains des khanats de l’Empire russe, tous turcs et musulmans, ne revendiquent-ils pas, à juste titre, une ascendance gengiskhanide? Et la petite tribu mongolisée des Tatar, ennemie sans pitié du clan de Gengis-khan qui la décima en 1202, n’était-elle pas si célèbre que son nom désignait pour les Chinois – et pour les Européens sous la forme «Tartares» – l’ensemble des nomades d’Asie centrale, tandis qu’un peuple turc de la Volga en perpétue maintenant encore l’appellation?Qu’ils soient turcs ou mongols, les peuples de l’Asie centrale antique et médiévale partageaient le même genre de vie. Car les différenciations s’opéraient entre eux non par ethnie, mais par zone climatique et selon la distance les séparant du monde chinois: depuis les tribus contiguës à la Chine ou, bien souvent, installées sur son territoire même et déjà sinisées jusqu’aux pasteurs plus frustes des steppes boisées de la Mongolie septentrionale et, enfin, aux rudes chasseurs de la taïga sibérienne, les bribes de la civilisation chinoise se diffusaient avec une force décroissante d’un peuple à l’autre. Mais, s’ils sont barbares aux yeux des Chinois et des autres sédentaires qui méprisent leur vie nomade et redoutent leur vigueur guerrière, les peuples turco-mongols, vus à travers leurs propres sources historiques et leurs traditions, apparaissent riches d’une civilisation originale. Ils ont d’ailleurs à leur tour marqué la Chine de leur empreinte pour y avoir, depuis les débuts de notre ère, régné durant près de huit cent cinquante ans. Et leur apport à la civilisation mondiale n’est pas fait que de destructions: lien entre les extrémités du monde eurasiatique, les nomades des steppes ont été, dès l’époque la plus haute, le véhicule des techniques, des motifs artistiques, des religions. Maîtres dans l’art de la guerre et dans les techniques de l’élevage, ils ont enseigné à leurs voisins, entre autres, les finesses du dressage du cheval et de la stratégie militaire mobile.1. La Haute Asie prémongolePar les caractères et les formes tant de ses traits géographiques que de sa vie économique, sociale et culturelle, la Mongolie se place au centre d’un hinterland asiatique que limitent les chaînes himalayennes, le Saian-Altai, le Pamir et les monts Xing’an (ou Khingan). Sur cet immense territoire steppique bordé de hautes montagnes et s’ouvrant respectivement à l’est et à l’ouest sur les plateaux iraniens et les plaines chinoises, les populations anciennes de l’Asie centrale ont joué un rôle fondamental: par elles se trouvèrent mises en contact les diverses cultures agricoles; elles eurent aussi une influence déterminante sur l’apparition de l’élevage, source de la première différenciation socio-économique des mondes préhistoriques.Une riche industrie lithiqueLes découvertes archéologiques faites par les savants soviétiques et mongols, principalement depuis 1960, ont comblé de vastes lacunes. De nombreux sites paléolithiques inscrits dans leur contexte stratigraphique ont prouvé l’existence d’un âge de la pierre taillée sur tout le territoire actuel de la République mongole. Fonds de cabanes, établissements saisonniers ou ateliers ont livré le témoignage d’une riche industrie lithique. Les pièces les plus anciennes proviennent de l’extrémité orientale de l’Altai du Gobi (Bodgo-somon). Ce sont des outils à faciès levalloisien et levalloiso-moustérien du type Quina. À Baga-Bogdo, les outils les plus caractéristiques sont de grands éclats massifs dont le plan de frappe présente un profil «en chapeau de gendarme». Dans cette même région apparaissent des nucléus cordiformes ou triangulaires dont le plan de frappe est incliné par rapport à l’axe. Dans la vallée de l’Orkhon, le faciès des outils est aussi levalloiso-moustérien avec, dès les premières couches, des grattoirs et des nucléus du type sibérien déjà évolué. Dans la vallée du Selenge, les cultures sont plus tardives; mais, à côté de grattoirs semi-lunaires et de pointes sibériennes, gisent des outils à facture archaïque, lames et nucléus de type levalloisien. Ces outils sont souvent accompagnés de couperets (choppers ) de facture primitive. Les matériaux employés sont principalement des galets que charrient les torrents ou qui, fréquemment, proviennent des veines rocheuses que renferment les montagnes du pays. En dernière étape, les nucléus prismatiques croissent en nombre, les outils se miniaturisent et leur qualité s’améliore. À Shara-Kada I ont été découverts des os d’animaux qui prouvent que les chasseurs errants ou semi-errants de l’époque prisaient déjà, entre autres choses, la viande de cheval sauvage. Au nord, au Pont de l’Iro, à 65 kilomètres au sud de Sükhebator, l’inventaire est des plus riches: les couperets, les pointes et les grattoirs disparaissent; le plan de frappe devient perpendiculaire à l’axe; les petits grattoirs à bord arrondi et les lamelles abondent. C’est déjà le Mésolithique et le Néolithique précéramique. Toute l’industrie lithique confirme le rôle essentiel joué par la Mongolie dans l’ensemble des échanges qui eurent lieu entre les cultures paléolithiques de l’Eurafrique et celles de l’Asie orientale.Les cultures néolithiquesLes fouilles néolithiques en Mongolie couvrent, depuis 1948, toutes les provinces. Le site le plus intéressant reste celui de Bayan-zug (Šabarakhusu). On y trouve de nombreux outils lithiques et des restes de foyers entourés d’ossements d’oiseaux et d’animaux divers. Les poteries, de forme semi-ovoïdale, ont un décor cordé. Le site renferme aussi des pilons, des moulins à grain, des haches taillées et polies, des lamelles, des grattoirs, des burins et des pointes de flèches à base asymétrique: ces outils sont taillés dans du silex, du jaspe ou de la calcédoine. Leur ressemblance avec les industries néolithiques de la Sibérie méridionale et de la Chine autorise à considérer la Mongolie d’alors comme partie intégrante de l’ensemble des cultures du IIe millénaire avant notre ère.À cette époque, les régions d’Asie centrale se partageaient entre la culture d’Andronovo à l’ouest et celle de Glaskovo à l’est. Cette dernière, sise autour du lac Baikal, présentait de nombreuses affinités avec les cultures voisines: celles du bassin de l’Amur, de la Mandchourie et de la Mongolie; les variations locales étaient fonction de la nature des diverses tribus. L’une d’entre elles devait jouer un rôle particulièrement important: les Dingling, chassés de leurs campements du haut fleuve Jaune, émigrèrent en effet vers le Saian-Altai; ils apportaient avec eux des éléments de culture chinoise et furent ainsi à l’origine de la culture de Qarasuk.Vers 1200 avant J.-C., tout le Gobi et ses environs étaient devenus un important point de rencontre des éleveurs qui nomadisaient tant au nord qu’au sud de la Mongolie. L’accroissement des troupeaux entraîna l’apparition du nomadisme qui se substitua à la simple transhumance pratiquée jusque-là. Alors se créa peu à peu la maison roulante tirée par des bœufs, ainsi que la yourte circulaire que les Xiongnu adoptèrent plus tard et qui subsiste encore aujourd’hui dans la steppe.À la fin du IIe millénaire, le patriarcat remplaça le matriarcat primitif. Le vieux culte des ancêtres s’enrichit de notions nouvelles: au groupe Ciel-Père-Biens s’opposait l’ensemble Terre-Mère-Mort, manifestations d’un culte solaire qui supplanta le culte totémique. Des pratiques chamaniques s’y ajoutèrent plus tard.L’âge du bronzeDe la rencontre des Dingling avec les ancêtres des Xiongnu surgit l’âge du bronze, matérialisé par la culture de Chivera où se retrouvent des éléments de la Chine des Shang (XIVe-XIe s. av. J.-C.) et de la culture de Qarasuk (Xe-VIIIe s. av. J.-C.).La première culture du bronze spécifique de la Mongolie fut celle des tombes à dalles (VIIe-IIe s. av. J.-C.): elle s’étendait de la Mongolie du Nord à la Transbaikalie méridionale. Ces tombes, comportant un mobilier de bronze, sont des amas de pierres de faible hauteur, flanqués aux quatre coins de stèles ornées de cerfs, de motifs solaires et d’images d’armes. Ornements en néphrite et tripodes témoignent des rapports qui existaient entre la Chine et l’Altai. La présence d’éléments paléo-sibériens – existant aussi chez les Xiongnu, à l’absence de fer et à la sobriété des tombes princières près – indique que la culture des tombes à dalles était déjà une culture hunnique.C’est sous l’égide des Xiongnu que fut réalisée, à la fin du IIIe siècle avant J.-C., la première confédération des tribus d’éleveurs de l’Asie centrale. Ils connurent une métallurgie très développée: chaudrons, armes, outils en bronze et en fer. L’agriculture, bien que secondaire, est également attestée dans plusieurs régions. À en juger par les splendides tombes princières de Noin-ula, aux cercueils laqués, aux soies variées, aux tapisseries richement ornées, les Xiongnu avaient atteint parmi les éleveurs un niveau de vie enviable. Leur puissance reposait sur l’organisation judicieuse de leur armée, dont la cavalerie légère ou lourde (IIIe s.) harcelait leurs voisins et surtout la Chine. Celle-ci, grâce à une politique habile de soulèvements locaux et à de violentes contre-offensives, put néanmoins bientôt disloquer l’empire constitué vers 220 avant J.-C. par Maodun. Si les Xiongnu refluèrent alors vers l’ouest, la nouvelle confédération se forma bientôt sous la conduite des Xianbei, tribu proto-mongole rapidement évincée par les Ruanruan dont le chef portait le titre mongol de khan (qan ) ou kaghan (qagan ). Les Chinois surent une fois de plus, grâce à l’alliance d’une tribu proto-turque, les Tujue, acculer la confédération à la ruine (552).Les UigurLes Tujue (ou Türküt), descendants d’une branche des Xiongnu de l’Altai, établirent sur toute la zone des steppes asiatiques le premier Empire turc, qui fut divisé dès la mort de son fondateur, Buminqagan (552). Scindé en deux parties, occidentale et orientale – à laquelle appartenait la Mongolie –, l’Empire turc ne put résister aux querelles intestines et aux révoltes locales, si bien qu’en 744 la souveraineté de la Mongolie échut aux Uigur (Ouïghours). Pendant un siècle et demi, ces fidèles alliés de la Chine allaient apporter aux différentes tribus les bienfaits d’une culture raffinée. Certes, les Tujue avaient déjà puissamment contribué à hausser le niveau de la culture. Les inscriptions de l’Orkhon, premier monument de la langue turque, témoignent de leurs qualités littéraires, tandis que le décor mural des tombes découvertes à Nalaikh (1957) souligne le talent de leurs peintres. Le monument de Kül-tegin, fouillé en 1958, avec une belle tête de marbre et toutes les pierres dressées de l’époque (baba ), révèle la qualité de leur sculpture. On sait de plus, par les rapports d’ambassadeurs byzantins ou chinois, que les Tujue surent faire régner sur toute l’Asie centrale, du VIe au VIIe siècle, une grande tolérance religieuse.À ces bienfaits les Uigur ajoutèrent encore. La traduction de nombreux traités sanscrits et chinois, grâce à l’adoption de l’écriture sogdienne, suscita une riche et nouvelle littérature nationale.De plus, adoptant comme religion d’État le manichéisme, ils humanisent quelque peu les mœurs et iranisent les modes de vie, se posant en éducateurs de tous les peuples turco-mongols. Malheureusement, la culture n’apaisa point les ambitions politiques et, en 840, les tribus kirghiz s’emparent du pouvoir. Comme leurs prédécesseurs, ils avaient bénéficié de contacts avec les mondes iranien et chinois. Leur vie se partageait encore cependant entre la chasse, la pêche, l’élevage et parfois l’agriculture. Habiles artisans, ils étaient fort réputés pour le travail de l’or, de l’argent, du fer et de l’étain. Leur destinée toutefois fut courte car, si l’Altai et la Mongolie avaient fourni jusqu’alors des tribus victorieuses, au Xe siècle la matrice des steppes se déplaça vers l’est, vers la région mandchoue. De là, les Kitan et les face="EU Caron" イür face="EU Caron" カen allaient successivement fonder les dynasties des Liao (907-1168) et des Jin (1115-1234) qui, sous l’habit des dynasties chinoises (cf. CHINE - Histoire jusqu’à 1949: 9 Les empires barbares de la Chine du Nord du Xe au XIIIe siècle ), occupent les territoires du bassin du fleuve Jaune et de l’Asie centrale (carte 1). L’histoire de la Mongolie n’est plus qu’une série de vicissitudes dues à une anarchie prolongée. Il faut attendre le XIIe siècle pour voir surgir dans le haut Kerülen celui qui allait donner un nom immortel à sa vieille terre et, sous le nom de Gengis-khan, fonder le premier grand Empire vraiment mongol.2. L’époque gengiskhanideL’épopée gengiskhanide marque à plus d’un titre une coupure dans l’histoire mondiale. En Asie centrale d’abord, un processus de différenciation entre peuples turcs et peuples mongols arrive à son terme. La Mongolie propre appartient désormais aux seuls Mongols – les autres groupes n’apparaissant en cette région qu’à titre de minorités intégrées – tandis que la turcisation et l’islamisation des steppes occidentales, entamées aux siècles précédents, vont s’achever bientôt, aux dépens des Gengiskhanides eux-mêmes.L’unité de peuplement du territoire mongol, jointe à une brusque abondance des sources historiques contrastant avec une extrême pauvreté pour les époques antérieures, permet de mettre en lumière toute une série de problèmes d’un intérêt capital pour l’histoire des steppes tant prégengiskhanides que postgengiskhanides: ainsi, la spécificité et la remarquable continuité à travers les siècles d’une civilisation nomade; une évolution indiscutable, depuis le temps auquel les matériaux permettent de remonter, des structures sociopolitiques et des méthodes de nomadisation; les processus d’édification et de destruction des empires nomades.Mais aussi, sous l’effet des conquêtes, l’histoire des Mongols se confond, pendant un temps, avec celle des pays sédentaires. C’est, pour un peuple nomade, le passage d’un «empire des steppes» à des dynasties de conquête et l’amorce d’une acculturation à des formes de civilisation plus évoluées et, pour les pays sédentaires, une rupture d’évolution dont la portée réelle est encore l’objet de discussions parmi les spécialistes. Car l’histoire de l’«Empire universel» des Mongols, si elle a enflammé les imaginations et fait couler des flots d’encre, est, par la multitude et la diversité des pays qu’elle concerne, d’une complexité qui a défié jusqu’à maintenant les synthèses exhaustives. Les massacres et les destructions, pour étendus et systématiques qu’ils aient été, ne semblent cependant pas – surtout en Chine – avoir atteint l’ampleur que la terreur des contemporains leur a attribuée; et la régression culturelle, qui leur a fait immédiatement suite, paraît souvent tout autant causée par un affaiblissement et une désintégration des pays sédentaires avant le déferlement de l’invasion. Mais, en tout cas, la domination mongole a exercé sur le cours de l’histoire des pays conquis – Chine, Iran, Russie, Arménie, nord de l’Inde... – une action considérable dont il n’appartient pas de traiter ici.Origines de Gengis-khanComme toutes les grandes familles turques ou mongoles de l’Asie centrale ancienne, celle de Gengis-khan se transmettait, de génération en génération, le récit mythique d’une origine supranaturelle. Le culte rendu à Gengis-khan dès sa mort permit d’en fixer le souvenir: «L’origine de Gengis-khan est le Loup gris-bleu, né avec son destin venu du Ciel supérieur, et sa femme la Biche fauve.»Plus prosaïquement, ses ancêtres appartiennent à un sous-clan mongol des Bor face="EU Caron" グigin, un de ces nombreux groupuscules qui se disputent âprement la steppe dans une alternance de prospérité et de misère. Après une longue période d’anarchie, ils ont réussi, vers la fin du XIe siècle et le début du XIIe, à regrouper autour d’eux un certain nombre de tribus. Qabul-khan, donné comme arrière-grand-père de Gengis-khan (tabl. 1), avait été le chef le plus brillant de ce premier embryon de confédération mongole. Mais sous ses successeurs, son cousin Ambaqai et son fils Qutula-khan (sans doute le grand-oncle de Gengis-khan), les coups conjoints de deux ennemis redoutables – les Tatar, déjà évoqués, et les face="EU Caron" イür face="EU Caron" カen ou Jin, maîtres «barbares» de la Chine du Nord – ont disloqué la petite union mongole.Lors de la naissance de Temü face="EU Caron" グin, le futur Gengis-khan, au milieu du XIIe siècle (les sources persanes le font naître en 1155, les sources chinoises en 1162 – et c’est la date qui a été retenue par la Mongolie postcommuniste pour célébrer l’anniversaire de son grand homme; mais l’érudit Paul Pelliot, et nombre d’autres à sa suite, ont opté pour 1167), les tribus les plus puissantes sont alors, non plus les Bor face="EU Caron" グigin, mais les Tatar, les Merkit et surtout des peuples d’une civilisation déjà évoluée, largement convertis au christianisme nestorien, les Naiman et les Kereit – ceux-ci dirigés par Togril-khan, personnage dans lequel les contemporains auraient vu le fameux «Prêtre Jean» (carte 1).Il a huit ans (neuf selon le comput traditionnel sino-mongol, qui ajoute un an à l’âge du nouveau-né) lorsque son père Yesügei périt empoisonné par les Tatar. Ses frères et lui, aussitôt abandonnés par tous les alliés, vassaux et esclaves de la veille, connaissent alors les pires adversités. Sans troupeau pour se nourrir, harcelés par leurs ennemis, ils ne doivent de survivre qu’à l’énergie de leur mère, la vaillante Hö’elün, et sans doute aussi à leur bonne étoile. Tel est, du moins, le récit qu’en a transmis à l’admiration de la postérité un extraordinaire document, datant des environs de 1240 et conservé en traductions chinoises interlinéaire et paragraphe par paragraphe, et en une translittération syllabe par syllabe des mots mongols notés au moyen de caractères chinois: L’Histoire secrète des Mongols (Monggol-un niu face="EU Caron" カa tob face="EU Caron" カa’an en mongol, Yuanchao bishi en chinois), une chronique en forme épique et moralisatrice, sur le degré d’affabulation de laquelle les spécialistes n’en finissent pas de discuter.Souverain d’un empire des steppesArrivé à l’âge adulte, Temü face="EU Caron" グin, aidé de ses frères, tente fortune en renouant les liens que son père avait contractés: il commence par aller chercher Börte, l’épouse qui lui était destinée depuis l’enfance, dans le clan des Qonggirat; puis il fait allégeance à Togril-khan, le souverain des Kereit qui avait été l’allié juré (ou anda ) de son père, selon une relation conventionnelle en usage chez les nomades et d’un effet aussi puissant, sinon plus, que la parenté par le sang; enfin, il retrouve le propre allié juré de ses jeunes années, face="EU Caron" イamuqa, chef d’un petit parti. Quelques fidèles commencent à se joindre à lui à titre individuel, attirés par sa bonne mine et la haute réputation de ses ancêtres, et le servent dès lors avec un dévouement à toute épreuve, tel le face="EU Caron" イalair Muqali, futur représentant du grand-khan en Chine du Nord. Puis, à mesure que des raids heureux étendent son renom et font bien augurer de son avenir, des clans entiers se rallient à lui, et finalement, dans la dernière décennie du XIIe siècle, le reconnaissent solennellement comme chef.Dès ce temps, il pose systématiquement les fondations d’une armée organisée, en assignant une fonction à chacun de ses compagnons: gardes du corps choisis parmi les plus loyaux, estafettes, responsables des chevaux, de la discipline, etc. Les cadres d’un État militaire nomade seront ainsi mis en place par étapes, avant même que n’existe le personnel suffisant pour en remplir les services.Cependant, Temü face="EU Caron" グin est encore sous les ordres du souverain kereit, dont le prestige s’est accru du titre nouveau, sous lequel l’histoire le connaît, d’ong-qan , tandis que face="EU Caron" イamuqa, proclamé à son tour (en 1201) chef d’une coalition de tribus hostiles à Temü face="EU Caron" グin, a reçu de ses partisans le vieux titre turco-mongol de gür-qan («khan universel»). Lorsque le conflit, inévitable, éclate avec ces deux rivaux, Temü face="EU Caron" グin prend toujours soin de mettre le bon droit de son côté en se présentant comme l’offensé, contraint de venger l’honneur de son sang, dans des messages versifiés. Après de sanglants combats à l’issue longtemps incertaine, Temü face="EU Caron" グin, qui avait déjà anéanti, non sans peines et dangers, ses pires ennemis, les Tai face="EU Caron" カiut et les Tatar, abat maintenant ses anciens protecteurs; puis il vient à bout des derniers grands peuples nomades, qu’il avait combattus auparavant avec moins de succès, les Naiman et les Merkit (carte 2 et tabl. 2).Après l’exécution de face="EU Caron" イamuqa en 1205, Temü face="EU Caron" グin, de chef d’une union instable de tribus, devient le maître incontesté des steppes de la Mongolie, l’héritier des qagan xiongnu, tujue et uigur. En 1206, il fonde l’État – ou peuple – mongol (mongol ulus ) au cours d’une diète (ou quriltai ) des chefs de toutes les tribus. Confirmé dans la dignité de grand-khan sous le nom de Gengis-khan (ou, plus correctement, face="EU Caron" アinggis-qan), il complète solidement l’organisation militaire qu’il ébauchait depuis une dizaine d’années et, sous la direction d’un lettré turc uigur, il dote son État d’une première administration civile, qui a déjà vocation à gouverner le monde.Le Conquérant du mondeLes premières années qui suivirent le quriltai de 1206 marquent une nouvelle étape dans la formation du monde gengiskhanide, par l’adhésion spontanée au jeune État mongol des grands peuples turco-mongols sédentarisés qui, intermédiaires entre les nomadeset la Chine, vont jouer le rôle d’initiateurs à la civilisation et de guides pour la préparation des invasions en pays sédentaires. Ce sont, en 1207, au sud, les Öngüt des marches chinoises; en 1209, au sud-ouest, le royaume des Turcs Uigur, vestige d’un grand empire des steppes des VIIIe et IXe siècles; en 1211, à l’ouest, les Qarluq et autres peuples turcs des rives de l’Ili et du lac Balkhaš, alors sous domination qarakitai; enfin, en 1212, à l’est, les Kitan, peuple sinisé de race mongole, qui avaient conquis le nord de la Chine au Xe siècle, sous le nom dynastique de Liao, avant d’être assujettis aux face="EU Caron" イür face="EU Caron" カen, eux-mêmes Tungus (ou Proto-Mandchous) de Mandchourie, maîtres depuis 1125 de la moitié septentrionale de la Chine sous le nom dynastique de Jin (carte 2 et tabl. 2; cf. aussi CHINE - Histoire jusqu’à 1949: 10 Le joug mongol ).Enfin, le glacis protecteur est complété au nord, en 1207, par la conquête des peuples de la forêt de Sibérie, à l’ouest du lac Baikal: les Turcs Kirghiz, les Mongols Oirat, Tümet et Buriat (ou Bouriates), grands pourvoyeurs en pelleterie de luxe.Cependant, les Mongols tentaient d’envahir les pays sédentaires en attaquant une région de steppe qui faisait morphologiquement suite au Gobi: le royaume des Tangut, peuple sinisé de race tibétaine qui avait fondé au XIe siècle, aux portes occidentales de la Chine, la dynastie indépendante des Xi-Xia [Si-Hia]. Les premières incursions de petits détachements mongols en 1205 et 1207 avaient échoué devant l’obstacle nouveau des villes, jusqu’à ce qu’en 1209, Gengis-khan ayant pris lui-même la tête de l’armée, le souverain Xi-Xia offrît une soumission, jugée momentanément suffisante.Après cette expérience commença, en 1211, l’aventure chinoise des Mongols. Conseillés par des transfuges kitan, ils envoyèrent d’année en année des raids de pillage de plus en plus insistants dans la Chine des face="EU Caron" イür face="EU Caron" カen, apprenant ainsi peu à peu la stratégie des combats en pays à démographie dense et à villes murées et le maniement d’une population d’agriculteurs. Dans une première étape, Gengis-khan conduisit personnellement des opérations menées en plusieurs détachements. Puis, lorsque Pékin (le Daxing de l’époque, capitale principale des Jin) fut tombé en 1215, le grand-khan confia bientôt (1217) ce secteur militaire à l’un de ses fidèles du début, Muqali. La Mandchourie était elle aussi annexée (1214-1215) et la Corée envahie une première fois (1219). Mais Muqali et Gengis-khan allaient mourir, respectivement en 1223 et en 1227, sans que la chute des Jin fût totalement consommée, tant l’occupation de la terre chinoise présentait de difficultés pour les guerriers des steppes. Leur conquête offrit d’ailleurs ce caractère doublement paradoxal d’être réalisée dans des territoires défendus, durant les dernières années, non plus par les Jin, mais par des rebelles chinois ennemis des Jin, et d’avoir pour instrument des officiers et des troupes recrutés en majorité parmi les Chinois lassés de la domination face="EU Caron" グür face="EU Caron" カen.Mais, dès 1217, Gengis-khan avait à son service un corps d’artillerie chinois suffisant pour lui permettre de réduire les places fortes d’États moins bien défendus que la Chine. La Chine disposait en effet, à cette époque, tant pour la prise que pour la défense des citadelles, d’un armement basé sur le pierrier bandé, d’une puissance et d’une précision supérieures à celles des catapultes à torsion et à contrepoids utilisées en Occident. Et, si les propriétés de la poudre, découvertes comme on le sait par les Chinois, n’étaient pas encore appliquées au lancement des projectiles, elles trouvaient un emploi redoutable dans les boulets incendiaires ou explosifs.Une situation confuse aux marches occidentales du nouvel Empire mongol donnait alors précisément à Gengis-khan prétexte à poursuivre ses conquêtes, tout en invoquant, comme précédemment, son bon droit. Le dernier souverain du peuple naiman (abattu en 1204), ayant réussi à s’emparer du pouvoir chez les Qara-Kitai (dynastie de la région du lac Balkhaš, au Turkestan, issue des Kitan de Mandchourie), auprès desquels il avait trouvé refuge, persécutait maintenant ses voisins ralliés à Gengis-khan. Un petit détachement mongol en vint facilement à bout en 1218 et se posa en libérateur des populations musulmanes qu’opprimait le prince naiman, chrétien nestorien converti au bouddhisme. Puis le royaume du Khorezm, devenu limitrophe des possessions gengiskhanides, attira sur lui la catastrophe par l’assassinat inconsidéré d’envoyés du grand-khan. Les victimes n’étaient que quelques-uns de ces marchands musulmans utilisés habituellement par Gengis-khan comme agents de renseignements, de propagande et de liaison. Mais l’atteinte à leur personne fut reçue par le grand-khan comme un affront personnel. La première grande campagne d’Occident commença en 1219. Les villes, joyaux de la civilisation iranienne, furent abattues l’une après l’autre – Otr r en 1219, Bukh r et Samarqand en 1220, Urgen face="EU Caron" カ (ou Gurganj selon le nom médiéval) en 1221 –, leur population et leur garnison étant massacrées dans la mesure où elles avaient résisté à l’ordre de soumission qui leur était intimé avant le combat. Puis, aussitôt, des gouverneurs indigènes furent désignés, à moins que les anciens princes ne soient maintenus, pour restaurer une vie normale et réorganiser les activités économiques, sous le contrôle de résidents (daruga face="EU Caron" カi ) mongols ou uigur.Et, tandis que Gengis-khan poursuivait le fils du défunt shah du Khorezm à travers l’Afghanistan et jusqu’à la vallée de l’Indus où se livra la bataille décisive (1221), le dernier fils du grand-khan, Tolui, conquérait le Khor s n, et deux brillants généraux, face="EU Caron" イebe et Sübötei, menaient un raid audacieux de reconnaissance, préliminaire d’une conquête future, à travers les steppes des Qip face="EU Caron" カaq (peuplade nomade turque, appelée aussi Coman ou Polovtsy), la plaine russe, la Crimée – dont ils pillaient les comptoirs génois –, le royaume bulgare de la Volga. En 1225, Gengis-khan rentrait en Mongolie, laissant derrière lui le Turkestan pacifié (carte 3).En 1226, il repartait en campagne, dans le Sud cette fois, pour lancer un nouvel assaut contre le royaume Xi-Xia, dont la soumission de 1209 n’avait été qu’apparente. Le Xi-Xia fut écrasé en 1227 et sa capitale Zhongxing (Irgai en tangut, actuel Ningxia) saccagée. Mais sur ces entrefaites mourait Gengis-khan.La succession de Gengis-khanConquis et gardé par des poignées d’hommes (au total 150 000 hommes au plus), l’immense Empire qu’il léguait à ses héritiers s’étendait des rives du Pacifique à celles de la mer Caspienne, sur les tribus nomades et les peuples sédentaires, en un bloc unifié, assujetti à une loi unique. Mais la dévolution successorale n’en pouvait être réglée que selon les principes coutumiers des steppes, inadaptés en fait à la notion de pouvoir absolu que le grand-khan venait de créer. Chaque élément du patrimoine gengiskhanide fut, en effet, attribué suivant les règles qui, par analogie, lui auraient été propres dans la succession normale d’un chef de tribu ou de petite confédération.En premier lieu, la jouissance des pâturages – élément foncier essentiel à la vie pastorale nomade –, assortie du commandement des tribus qui y avaient un territoire de pacage assigné, avait été répartie par Gengis-khan de son vivant entre les fils de son épouse principale, Börte, et ses frères, en zones ou ulus , équivalents nomades des fiefs, avec vocation à s’agrandir des territoires conquis en leur proximité. En deuxième lieu, chaque membre de la famille impériale bénéficiait d’«apanages» constitués en population – nomade ou sédentaire – dont les revenus économiques lui étaient attribuéssous forme de livraisons obligatoires. En troisième lieu, l’avoir fondamental du père de famille, ensemble de biens mobiliers et incorporels – cultuels surtout –, revenait par coutume au dernier-né, réputé gardien du foyer paternel. Enfin, l’autorité suprême passait à un chef élu par ses pairs, en l’occurrence un des fils de Gengis-khan qui, même désigné par son père, devait être confirmé par ses agnats.Dans ce système composite s’enchevêtraient des notions juridiques aussi contradictoires que celles de l’égalité successorale des fils légitimes, de la primogéniture (droits favorisés du premier-né) et de l’ultimogéniture (droits favorisés du dernier-né), et des conceptions politiques aussi opposées que celles d’un État patrimonial indivis entre les membres de la famille régnante et d’un État centralisé et unitaire, d’une pérennité transcendant les bénéficiaires du pouvoir. L’insubordination traditionnelle des guerriers des steppes aidant, il ne fallut pas plus d’une trentaine d’années pour que l’unité de la création gengiskhanide se rompît dans les rivalités et que chacun des petits-fils du Conquérant du monde s’érigeât en souverain indépendant dans son ulus transformé en royaume héréditaire.En 1227, la situation était, en pratique, la suivante: l’Empire se trouvait partagé en quatre grandes zones d’influence, dont les limites étaient – l’on s’en doute étant donné leur caractère en pays nomade – rien moins que précises (elles ne sont tracées, sur la carte 3, qu’à titre vaguement indicatif, de même que la frontière de l’Empire). Le fils aîné, face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi, avait été le premier pourvu par son père vers 1206, en recevant «les terres de l’Ouest». La limite orientale de son territoire de nomadisation était alors le Selenge, mais, à mesure que le monde mongol s’élargissait, elle s’était déplacée vers l’ouest et était, en 1227, fixée le long de l’Irtyš. face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi étant mort quelques mois avant son père (tabl. 1), son territoire avait été, à ce moment, partagé entre ses deux fils aînés, les cadets s’étant établis plus tard: la zone couvrant approximativement la Sibérie occidentale, l’actuel Kazakhstan et le bassin inférieur du Syr-Dari passa à Orda, le fondateur de la Horde Blanche, qui ne joua qu’un rôle effacé dans l’histoire de l’époque; la partie la plus occidentale, comprenant virtuellement toutes les régions jusqu’où, à l’ouest, «entrerait le sabot du cheval mongol», passa à Batu (mort en 1255), le fondateur de la célèbre Horde d’Or ou khanat Qip face="EU Caron" カaq. Le deuxième fils de Gengis-khan, face="EU Caron" アagatai ou face="EU Caron" イagatai (mort en 1242), dont allait sortir la dynastie des face="EU Caron" アagataides, avait reçu l’ancienne région Qara-Kitai, au sud du lac Balkhaš, et la Transoxiane jusqu’à Bukh r et Samarqand. Mais les villes continuaient à être gouvernées par des autorités indigènes, sous le contrôle plus ou moins théorique du grand-khan et non du bénéficiaire de l’ulus, de même qu’au sud, le Khor s n.Le troisième fils, que Gengis-khan voulait pour successeur à la tête de l’Empire, Ögödei, fut installé au centre des possessions, entre l’Irtyš et le Selenge, dans les anciennes terres des Naiman et des Kereit. Enfin, outre que les deux frères survivants de Gengis-khan, face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi-Qasar et Temüge-Ot face="EU Caron" カigin, reçurent des ulus secondaires, aux marches orientales de l’Empire, le dernier fils, Tolui, hérita du berceau de la dynastie, des grands campements (ordo ) que Gengis-khan et ses femmes y maintenaient en guise de cour impériale et de la plus grande partie de l’armée, ainsi que du devoir d’entretenir le culte aux esprits protecteurs du clan – au premier chef, celui de Gengis-khan. Par la position de son ulus, il jouissait aussi d’un droit virtuel sur les conquêtes de Chine. Enfin, son titre de dernier-né lui valait, sa mère étant déjà décédée, la régence de l’Empire dans l’attente du quriltai appelé à élire le nouveau grand-khan. Deux ans s’écoulèrent avant que cette réunion eût lieu et que, finalement, le choix de Gengis-khan étant confirmé, Ögödei fût intronisé. Et comme, vingt ans plus tard, la lignée d’Ögödei fut définitivement éliminée au bénéfice de celle de Tolui (mort lui-même en 1232), on peut imaginer quelles intrigues ont dû, pendant ce long laps de temps, secouer déjà la famille impériale et les partisans de chaque coterie.Car les luttes fratricides étaient alors monnaie courante dans les steppes. Réputé, quoi qu’en aient pensé les peuples conquis, pour sa modération et sa maîtrise de soi, Gengis-khan, enfant, avait tué son demi-frère coupable de lui avoir enlevé le produit de sa chasse et, adulte, alors qu’il combattait pour la domination dans les steppes, avait voulu exécuter son oncle pour s’être rallié au parti de l’ong-qan des Kereit. À la fin de ses jours enfin, un conflit semblait imminent avec son fils aîné face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi, qu’évita seule la mort des deux partenaires à quelques mois d’intervalle. Mais la branche aînée, retranchée dans son ulus occidental, ne fit que se fortifier dans la dissidence et entretenir la discorde entre les branches cadettes. Et, les règles de la dévolution de l’Empire n’étant pas mieux fixées à la mort d’Ögödei, non plus qu’à celle de ses successeurs, des régences longues de plusieurs années avant la désignation définitive de chaque nouveau grand-khan furent autant d’occasions de compétitions sanglantes dans lesquelles sombra l’œuvre de Gengis-khan: de 1241 à 1246, régence de la veuve d’Ögödei, Töregene, jusqu’à l’élection de Güyük, fils aîné d’Ögödei; puis, régence de la veuve de Güyük, Ogul-Qaimiš, de 1248 à 1251, jusqu’à l’élection du fils aîné de Tolui, Möngke, dont la mère, la Kereit Sorgaqtani, est célèbre pour l’avoir aidé, avec l’appui de Batu, le khan de la Horde d’Or, fils de face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi, à évincer les descendants d’Ögödei et à en supprimer le plus grand nombre.La reprise de la conquête du mondeJusqu’à la mort de Möngke (1259), cependant, l’unité de l’Empire va être à peu près maintenue, malgré de graves dissensions internes, et la conquête du monde se poursuivra inexorablement, menée par l’ensemble des représentants des diverses branches rivales.La première campagne du règne d’Ögödei fut conduite en Chine du Nord et marqua la fin des Jin, délogés de leurs dernières possessions dans la plaine du fleuve Jaune grâce à un mouvement stratégique de vaste envergure, imaginé, dit-on, par Gengis-khan peu avant sa mort. Leur capitale, Kaifeng, tomba en 1233 aux mains du stratège Sübötei, et le dernier souverain se suicida en 1234.Puis commencèrent les premières escarmouches d’une guerre de près de cinquante ans contre les Song du Sud, devenus limitrophes des Mongols. Un mouvement tournant fut, là aussi, esquissé, qui se termina par la conquête, mal assurée encore, du Sichuan (1237-1238). En Corée, une première occupation de tout le pays en 1231, renforcée en 1236, ne venait pas à bout d’une résistance diffuse qu’entretint durant une vingtaine d’années (jusqu’en 1258), sous le couvert d’une prétendue vassalité, le souverain légitime réfugié sur un îlot à l’ouest de Séoul. Et, pour en finir avec le front oriental, le Tibet, envahi en 1239, fit sa soumission, mais des dissidences obligèrent les successeurs d’Ögödei à quelques autres campagnes (1251, 1267, 1290) qui laissèrent cependant toujours une large autonomie aux chefs politico-religieux de ce pays difficile à tenir en main.Sur le front occidental, au contraire, les victoires du règne d’Ögödei furent décisives. En Iran, le fils du souverain du Khorezm que Gengis-khan avait poursuivi, on s’en souvient, jusqu’aux rives de l’Indus, s’était rétabli dans l’ouest de ses terres sitôt que le gros des armées mongoles s’en était allé (1224-1225). Le général face="EU Caron" アormagan le défit (1231) et, ayant assujetti l’Azerbaijan (1233), la Grande Arménie (1236), la Géorgie (1239), il demeura en ces régions, garant du maintien de l’ordre gengiskhanide. Le général Bai face="EU Caron" グu qui lui succéda (1242-1256) donna à l’Empire la seule victoire notable remportée durant une dizaine d’années, de la fin d’Ögödei à l’avènement de Möngke: la défaite du sultanat sel face="EU Caron" グuq (1243), réduit dès lors à une vassalité étroite jusqu’à l’annexion finale en 1308; tandis que, simultanément, la Petite Arménie (ou Cilicie), pays chrétien menacé par l’islam, se soumettait volontairement (1244) et allait rester une alliée loyale.La campagne la plus foudroyante fut celle que conduisit le glorieux Sübötei, sous l’autorité de Batu, le fils de face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi dont l’apanage avait vocation à englober l’Europe. Toutes les peuplades de l’actuelle plaine russe, particulièrement Turcs Qip face="EU Caron" カaq et Bulgares de la Volga, furent subjuguées (1236-1239) et les villes russes ravagées: en 1237-1238, Riazan, Vladimir, Moscou, Tver, enfin Novgorod, point septentrional extrême de cette percée; en 1239-1240, Kiev etl’Ukraine. Puis, par d’habiles mouvements stratégiques combinés, la chevauchée victorieuse se poursuivit en 1241, dans une traînée de sang et de feu que rien ne semblait pouvoir arrêter, à travers la Pologne, la Hongrie, et jusqu’aux environs de Vienne. À l’été et à l’automne, les troupes se refirent dans la puszta, où hommes et chevaux trouvaient des conditions proches de celles de leurs terres natales. L’Europe centrale paraissait destinée à devenir un nouveau khanat, et l’Europe occidentale, affaiblie par un conflit entre la papauté et l’Empire, la proie désignée pour une prochaine campagne, lorsque l’annonce de la mort d’Ögödei et la perspective de compétitions successorales incitèrent les chefs gengiskhanides (qui, rappelons-le, provenaient d’ulus rivaux) à regagner la Mongolie propre, non sans compléter leurs ravages par un retour à travers la Serbie et la Bulgarie.Jusqu’au règne de Möngke, les opérations d’envergure furent suspendues et, à l’exception de la défaite des Sel face="EU Caron" グuq déjà mentionnée, les troupes frontalières ne firent que maintenir leur pression sur les peuples voisins, Cachemire et Inde du Nord en particulier.Sous la domination solide de Möngke, au contraire, l’implacable expansion reprend, qui va être une fois encore stoppée brusquement en pleine avance par la mort du grand-khan. Sur le front oriental, les armées conduites par Uriangqadai, le fils du général Sübötei, et par le frère du grand-khan, Qubilai, à cette époque apanagé en Chine du Nord, mènent une nouvelle campagne destinée à prendre les Song à revers. Elles descendent jusqu’au Yunnan et conquièrent le vieux royaume du Nanzhao (1253), dépositaire depuis le VIIIe siècle d’une civilisation thai; puis elles soumettent les tribus tibétaines du voisinage et, surgissant dans la plaine du Tonkin, contraignent le roi d’Annam à faire acte de vassalité (1257). Mais le mouvement final de tenailles, opéré simultanément en 1258 par un corps remontant du Tonkin, deux autres venant de Chine du Nord et un dernier se rabattant de l’ouest et conduit par l’empereur en personne, tourne court en raison de la mort de Möngke.Sur le front occidental, le commandement suprême avait été confié à un autre frère du grand-khan, Hülegü, qui, après avoir réduit les forteresses de la redoutable secte ismaïlienne au M zandar n (1256) et le khalifat abbaside de Baghd d (1258), avait envahi la Syrie des Ayy bides jusqu’à Damas (1260). Mais, ici aussi, les querelles successorales interrompent la campagne, et la Syrie tombe finalement aux mains des Mamluk d’Égypte.La dislocation de l’EmpireHormis en Chine du Sud, l’Empire a désormais atteint ses plus grandes frontières. L’élargissement des possessions au Moyen-Orient a entraîné la création d’un cinquième ulus au bénéfice de Hülegü (1256), qui y établit la dynastie des Ilkhan d’Iran. Et, cependant qu’en Chine Qubilai se fait proclamer grand-khan par ses troupes, sans convoquer de quriltai, et fonde une dynastie chinoise du nom de Yuan dont il veut faire l’héritière des Song (1260), le dernier frère légitime de Möngke, Ariq-Büge, successeur aux terres d’origine de la famille en Mongolie propre, se pose en défenseur de la légitimité et de la tradition.Dès lors, les dissensions au sein de la famille gengiskhanide prennent un sens qui dépasse le heurt d’ambitions personnelles. Il s’agit de véritables compétitions entre États, et l’enjeu en est l’orientation même de la politique du monde gengiskhanide et son avenir. Certes, la conception de l’Empire a évolué depuis trente ans: une capitale fixe a été créée sous le règne d’Ögödei à Qaraqorum, en ancienne région kereit, dans cette vallée de l’Orkhon où les empires des steppes les plus prestigieux avaient, eux aussi, érigé leur centre; l’administration et la notion de droit se sont perfectionnées au contact des peuples sédentaires et sous l’influence de conseillers tels que le prince kitan sinisé Yelü Chucai (1189-1241), le Uigur nestorien face="EU Caron" アinqai (mort en 1241), le Kereit nestorien Bolqai (mort en 1264), le lettré confucéen Yao Shu (1203-1280). Mais le dogme de la supériorité du nomade sur le sédentaire était resté intouché. Or voici que, maintenant, deux titulaires d’ulus, unis par les doubles liens du sang et de la communauté d’idées, s’adaptent à une culture sédentaire: à l’est, chez les Yuan, la chinoise; à l’ouest, chez les Ilkhan, la persane. Au contraire, les modes de vie et de pensée traditionnels sont mieux conservés dans les steppes russes, par la puissante Horde d’Or, greffée sur un substrat de peuplades turques nomades, les Qip face="EU Caron" カaq, qui lui ont donné son nom; au Turkestan, par les face="EU Caron" アagataides, héritiers eux aussi d’un monde turc; au Tarbagatai, par les Ögödeides, restés proches des steppes d’origine.Fait aggravant de la désunion, l’alternative entre la préservation de l’identité mongole et l’acculturation se double officiellement d’un prétexte religieux, où n’interviennent d’ailleurs pas les vieilles traditions chamanistes, très affaiblies depuis Gengis-khan. En effet, souverains Yuan et Ilkhan sont favorables au bouddhisme (en Chine, surtout au bouddhisme tibétain) et au christianisme, sous l’influence des princesses chrétiennes nestoriennes, mères et épouses des khans, issues des premiers peuples soumis à Gengis-khan (Kereit, Naiman, Öngüt) qui adhéraient à cette croyance depuis plusieurs siècles. En revanche, la Horde d’Or s’est laissé gagner à l’islam, sous le règne d’un fils de face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi, Berke, le premier khan mongol converti à cette foi. Aussi les Ilkhan d’Iran, dont le gouvernement s’étend sur une population islamique, recherchent-ils, vers l’ouest, le soutien diplomatique et militaire de l’Europe chrétienne pour faire face au péril dont les menace une alliance entre les pays musulmans voisins, la Horde d’Or et les Mamluk d’Égypte, tandis que l’hostilité active des Mongols traditionalistes, face="EU Caron" アagataides et Ögödeides, les sépare de leur allié établi en Chine. C’est donc la dissolution de l’Empire, bien que les communications se maintiennent, en temps de paix du moins, entre les ulus. Désormais, sous le poids des influences culturelles et politiques multiples qui s’y manifestent, l’évolution de chacun d’entre eux va être si rapide que quelques dizaines d’années à peine sépareront leur apogée de leur chute. Les anciens pouvoirs locaux, de nature très diverse, que les Mongols ont laissés en place dans les villes et les provinces, n’auront plus alors qu’à relever la tête.En Chine, Qubilai, au cours d’un beau règne de trente-cinq ans tout occupé de la restauration chinoise, achève la conquête du royaume Song en 1277, après de longues et dures campagnes dont l’épisode principal est, de 1268 à 1273, le siège de Xiangyang. C’est la première fois que la Chine tombe entièrement aux mains d’une dynastie d’origine barbare, et les lettrés du Sud, tenus en méfiance par le pouvoir mongol, lui rendent son mépris en refusant de collaborer, à la différence des lettrés et fonctionnaires du Nord, ralliés dès les débuts. Des théories confucéennes que son entourage lui insuffle, Qubilai retient principalement l’idéal d’universalisme qui s’harmonise avec celui qu’il a hérité de son grand-père. Les vagues d’invasion qu’il lance en Asie orientale et sud-orientale sont donc autant le fait d’un conquérant gengiskhanide que du Fils du Ciel chinois, habilité à gouverner le monde «à l’intérieur des quatre mers»: dernière phase de la conquête de la Corée (1258); deux expéditions audacieuses, mais malheureuses au Japon (1274, 1281); des campagnes au Champa (par mer, 1282-1283), en Annam (1285-1287), en Birmanie (1277, 1287), qui, malgré les défaites sous l’effet du climat insupportable aux Mongols, eurent pour résultat la soumission en vassalité de ces divers pays, ainsi que du Cambodge; des missions maritimes, dans les meilleures traditions chinoises, qui convainquirent une dizaine d’États des deux côtés de l’Inde, de Sumatra et de la péninsule malaise d’envoyer un tribut à Pékin; enfin, un raid par voie maritime à Java en 1292-1293 qui se solda par un échec.Qubilai ne fut pas moins actif en Mongolie, où la partie qui se jouait était d’importance; mais il avait affaire là à une coalition de sa parentèle. Après un affrontement longtemps indécis, il défit la faction d’Ariq-Büge en 1264, tandis que la Horde d’Or et les Ilkhan se combattaient (depuis 1263) et qu’au centre les face="EU Caron" アagataides agrandissaient leurs possessions avec le Khorezm et l’Afghanistan.C’est alors que surgit un nouveau légitimiste, au prestige redoutable: l’un des derniers représentants de cette maison d’Ögödei écartée en 1251, Qaidu, petit-fils d’Ögödei, qui, de son ulus sis au Tarbagatai à l’est du lac Balkhaš, part à la conquête de son voisin face="EU Caron" カagataide (1267-1269), le réduit en vassalité et s’approprie une partie de son territoire. Maître de l’Asie centrale et auréolé du titre de grand-khan qu’il s’est octroyé, il entre en guerre contre Qubilai. Combats et trahisons se succèdent jusqu’à la fin du siècle, avec des phases favorables tantôt au khan de Chine, tantôt à celui de Haute Asie. Qaidu périt en 1301; en 1303, le face="EU Caron" アagataide et l’Ögödeide, fils de Qaidu, font allégeance au successeur de Qubilai. Mais ce n’est qu’en 1309 que les derniers sursauts de la révolte sont effacés avec la disparition de l’ulus d’Ögödei. L’Empire mongol se trouve de nouveau partagé en quatre ulus principaux, au nombre desquels la maison de Chine jouit d’une prépondérance toute théorique.En Chine, les souverains Yuan, qui s’appuient de plus en plus sur des conseillers étrangers – Persans musulmans, lamas tibétains – aux dépens des lettrés chinois tenus au second plan, sont en butte à une hostilité de la population chinoise qu’aggravent les suites d’une politique inflationniste. À partir du milieu du XIVe siècle, les révoltes éclatent de toutes parts, jusqu’à l’expulsion des Mongols en 1368 par le fondateur de la dynastie nationale des Ming.Dans le reste de l’ancien Empire mongol, l’islam l’a partout emporté. Il a même atteint la Chine bouddhiste, où il s’est maintenu, localisé mais vivace, jusqu’à nos jours. Les face="EU Caron" アagataides s’y sont ralliés en 1266 et les Ilkhan aussi, définitivement sous Gazan, en partie pour se rapprocher de leur peuple. Pourtant le khanat de Perse était en Orient, depuis plus de trente ans, le champion de la lutte contre l’islam. La papauté, la France, l’Angleterre avaient fondé quelque espoir sur des tentatives de croisades conjointes, mais celles-ci avaient échoué, tant par les dissensions dans le camp chrétien, l’hostilité des royaumes francs d’Orient et, dans les cours d’Europe, la méconnaissance du problème mongol, que par les luttes internes entre les ulus qui distrayaient les forces ilkhanides. Dès 1335, le pouvoir du souverain mongol de Perse n’est plus que nominal et disparaît après 1353. Chez les face="EU Caron" アagataides et dans la Horde d’Or, la turcisation de l’élément mongol est complète; les souverains des nombreux khanats, essaimés à partir des deux grandes maisons gengiskhanides, se glorifient bien d’une ascendance mongole, mais leur histoire n’appartient plus à celle du monde mongol.L’œuvre gengiskhanide et sa légendeOn compte généralement au nombre des grandes réussites de l’ère gengiskhanide la pax mongolica , qui, étendue sur le continent eurasiatique des bords du Pacifique aux rives du Don et de l’Oka, permit une circulation des hommes, des idées, des marchandises, des arts et des sciences sans autre exemple dans l’histoire. Il en est ainsi, en effet, surtout dans les premiers temps du régime. Grâce à un service des postes perfectionné que Gengis-khan avait mis en place dans un but stratégique et dont les ramifications suivirent les conquêtes, les extrémités du monde semblaient s’être rapprochées. Le remarquable libéralisme des Mongols en matière religieuse, les faveurs exceptionnelles dont jouirent les marchands dès l’aube de l’Empire incitèrent missionnaires et négociants à entreprendre la longue traversée de l’Asie centrale. Une foule de voyageurs sillonna les routes, réservées jusqu’alors à de rares caravanes, et l’on doit aux plus célèbres d’entre eux les premières descriptions occidentales directes des Mongols et de la Chine (tabl. 3).Si l’on excepte les marchands musulmans fournisseurs des tribus turco-mongoles, ce furent les Chinois en visite à la cour de Gengis-khan qui inaugurèrent l’ère de ces voyages et découvertes. Le dominicain Julien de Hongrie, quant à lui, ouvrit partiellement la voie aux moines occidentaux chargés par la papauté et les princes chrétiens de missions d’information dans ce pays mystérieux où les Européens apeurés plaçaient le peuple de «Gog et Magog». Ainsi Plan Carpin assista-t-il à l’intronisation de Güyük, et Rubruck rencontra-t-il Möngke. À partir des années 1260, les missions catholiques qui se succèdent, surtout en Iran, ont pour but tant la conversion des souverains mongols que l’utilisation de leur puissance pour la reconquête des Lieux saints; et les missions de réponse, tout aussi nombreuses, envoyées en Europe par les Ilkhan contribuent à une certaine connaissance réciproque. Cependant, les marchands italiens, qu’attire le commerce de la soie, franchissent les déserts pour venir s’installer plus ou moins longuement en Chine. Enfin, étape ultime dans l’évolution de ces premiers rapports entre l’Est et l’Ouest, de 1300 à 1350, les grands voyageurs sont les titulaires des évêchés catholiques de Chine et leur clergé (carte 4), qui gagnent leur poste par voie de mer jusqu’à Canton, les routes terrestres, livrées au désordre, s’étant déjà refermées.Par ces voyageurs et par les mémoires des dignitaires autochtones au service des khans mongols, tel le ministre-historien persan Rašid al-D 稜n, on peut avoir une vision assez nuancée de la vie dans l’ensemble de l’Empire, et l’on est surpris de constater que l’opposition entre pays nomades et sédentaires n’est pas aussi profonde qu’on serait en droit de s’y attendre. Les steppes sont, en effet, parvenues alors à un niveau de civilisation assez élevé pour que l’accumulation des richesses, la préparation du matériel militaire et des objets de luxe aient rendu nécessaire l’édification de villes riches en palais et en quartiers d’artisans et de commerçants. Ainsi, Guillaume de Rubruck rencontre à Qaraqorum, en 1254, toute une petite colonie de Français capturés à Belgrade, grand centre de culture française au sein du royaume hongrois de Bela IV. L’orfèvre parisien Guillaume Boucher est non seulement l’artiste de la communauté catholique de Qaraqorum, mais aussi le principal ingénieur occidental de la cour de Möngke, et il s’est rendu justement célèbre par la création d’une fontaine à koumis pseudo-automatique, dans le goût européen du XIIIe siècle. Les fouilles archéologiques mettent sans cesse au jour des restes de villes gengiskhanides comme, dans la Sibérie méridionale au nord des monts Khentei, la ville de face="EU Caron" イö face="EU Caron" カi-Qasar, frère de Gengis-khan, sur la rivière Khirkhir, et la cité d’Ögödei à Köndui; ou bien, au sud du Gobi, Shangdu [Chang-tou], la cité fondée par Qubilai du temps qu’il était prince impérial, et sa résidence d’été après que, souverain de la Chine, il eut édifié, sur le site approximatif de l’actuel Pékin, sa capitale principale Khanbaliq (ou Dadu en chinois) décrite par Marco Polo. La Horde d’Or, tout en restant nomade jusqu’au XIVe siècle, jouit cependant d’une belle civilisation urbaine dans les deux villes successives de Sarai, et même le légitimiste Qaidu construisit au Ferghana une ville de grand avenir, Andi face="EU Caron" グan.Une évaluation balancée de l’influence de Gengis-khan sur son peuple a été, dans les années 1960, l’occasion de conflits internes à résonance politique en République populaire de Mongolie et en Région autonome de Mongolie Intérieure (République populaire de Chine), tant le souvenir de Gengis-khan est resté vivace chez les Mongols. Considéré dès sa mort comme l’esprit protecteur des siens, il a reçu de ses descendants un culte organisé qui, renforcé au XVIe siècle par le contexte bouddhique, se localise alors, avec l’installation de tribus mongoles en cette région, à E face="EU Caron" グen-khor 拏 dans l’Ordos, à l’intérieur de la grande boucle du fleuve Jaune (Mongolie Intérieure), sous la garde d’un clan particulier appelé Darkhat. Si grand était l’appel de ce sanctuaire que les pouvoirs politiques successifs – spécialement les Japonais et le Guomindang [Kouo-min-tang] – ont cherché à s’approprier les reliques (ou prétendues telles) qu’il renfermait pour agir plus sûrement sur les Mongols rebelles. Le gouvernement communiste chinois, obligé, sous la pression des événements, à réviser sa condamnation première de Gengis-khan comme ennemi du peuple, érigea à E face="EU Caron" グenkhor 拏, en 1955-1956, un beau bâtiment pour abriter les reliques sacrées. En 1962, le huit centième anniversaire de la naissance du grand-khan était célébré simultanément dans les deux Mongolies, et son rôle de fondateur de l’unité mongole affirmé. Mais, peu après, sous les critiques russes, la République populaire de Mongolie dénonçait ce culte comme un signe de nationalisme antimarxiste, et cette vue était plus tard adoptée en Chine, lorsque la révolution culturelle avait tenté de niveler les particularismes des allogènes. Depuis lors, Gengis-khan a été bel et bien réhabilité, d’abord dans la Mongolie chinoise, où ses reliques ont été reconstituées en 1980, son mémorial restauré et rouvert pour la célébration traditionnelle du 17e jour de la 3e lune, en l’occurrence le 1er mai 1980. Puis, à partir de 1990, il est devenu le génie tutélaire de la Mongolie ex-populaire, tout juste émancipée du communisme à la soviétique.En fait, la grande œuvre de Gengis-khan fut bien cette conscience de leur identité et de leur grandeur qu’il donna aux Mongols et qui a assuré la survie de leur culture à travers les siècles et la dispersion géographique. Par une organisation militaire décimale étendue à l’ensemble de la population nomade, selon un système hérité des anciens empires des steppes, mais remodelé pour s’adapter à des conditions sociales en mutation et, surtout, à ses idées en matière de gouvernement, Gengis-khan a intentionnellement brisé l’ancien système de clans et de tribus, et permis la naissance d’une véritable nation mongole. Par la loi (le face="EU Caron" グasaq , ou yasa en turc) dont il la dote, assortie d’un corps de sentences morales (les bilik ), il institutionnalisa un code éthique sévère dont le principe essentiel, le respect de l’autorité des aînés et des chefs, a gardé valeur de loi jusqu’à nos jours. Par sa science de l’art militaire qu’il porta à un très haut degré de perfection, tant par l’habileté des grands mouvements combinés en trois ailes, par la mobilité des archers montés, par la discipline durant le combat et le pillage que par un usage, étonnant pour l’époque, des divers moyens de propagande et de dissuasion psychologique de l’ennemi, il marqua de son empreinte les guerres du continent asiatique jusqu’à l’introduction des armes à feu occidentales. Enfin, par la conscience d’une mission coercitive qui leur faisait considérer comme vassaux tous les souverains étrangers et comme manquement criminel toute résistance à leur volonté, les premiers grands-khans ont fondé la supériorité des Mongols sur les peuples vaincus. De sorte que dans toute l’Asie, durant plusieurs siècles, les Gengiskhanides, descendants des fondateurs des grands ulus, ont été des fantoches maintenus sur le trône par des usurpateurs qui n’osaient s’approprier le titre de khan.Mais toute médaille a son revers. On a soutenu que les conquêtes du XIIIe siècle n’ont été finalement profitables que pour les dirigeants, alors que le simple peuple a souffert, tout comme les vaincus, de la politique d’expansion démesurée, et cette théorie paraît fondée.3. De l’époque gengiskhanide à l’âge moderneLorsqu’en 1368 Togon-Temür, le dernier souverain Yuan, est chassé de Chine par la dynastie Ming, les Mongols reprennent dans les steppes le cours de leur histoire. Mais, diminués par la dispersion d’une partie de leurs tribus dans les pays sédentaires qui les ont absorbées, ils retrouvent leur pays d’origine étiolé d’avoir été trop longtemps abandonné et ravagé par les guerres intestines des Gengiskhanides. Privés de l’appoint que l’agriculture et l’artisanat leur avaient apporté dès les débuts du XIIIe siècle, coupés des centres culturels et commerciaux de l’Asie, ils retombent dans une anarchie où le pillage sert de complément à une économie pastorale rudimentaire. Pour eux, les siècles à venir vont être occupés par la recherche d’un nouvel équilibre social et politique, d’une nouvelle structure du nomadisme et par le règlement de leurs difficultés de voisinage avec la Chine.Les rivalités, du XIVe siècle à la fin du XVIe siècleLes dissensions entre ethnies et les violentes rivalités qui opposent Gengiskhanides et non-Gengiskhanides sont dominées par la nécessité de trouver à l’économie nomade des débouchés et par la pression de la politique chinoise, qui attise les antagonismes afin de prévenir le danger d’une renaissance mongole. Dans une première phase, alors que le jeune État Ming est encore fort et que, chez les Mongols, la lignée gengiskhanide perpétue un titre de grand-khan dévalué, les Chinois mènent plusieurs campagnes jusqu’à Qaraqorum et aux marches de la Sibérie, pour épuiser leurs ennemis et attirer dans leurs rangs les tribus les plus proches de la Chine. De cet affaiblissement des peuples de la Mongolie propre – ceux que les Ming appellent Tatar et que nous dénommons Mongols orientaux – profite un autre peuple mongol resté à l’écart de la grandeur et de la décadence des Gengiskhanides: les Oirat ou Mongols occidentaux. Établis à cette époque sur le flanc ouest des Mongols orientaux, dans les monts Altai et le Tarbagatai au nord des oasis de l’Ili, les Oirat réussirent bientôt à occuper une grande partie de la Mongolie propre. Ayant fait une soumission théorique aux Ming pour marquer leur indépendance vis-à-vis du grand-khan, ils leur versent un prétendu tribut qui est, en fait, l’occasion d’un fructueux commerce avec l’Empire du Milieu et le prétexte à de fastueux cadeaux «de réponse» au moyen desquels l’empereur Ming cherche à acheter leur neutralité.Mais voici que, dans une deuxième étape, les Mongols orientaux, retrouvant dans l’unification une force nouvelle, harcèlent à leur tour les Oirat et les Ming, qui ont perdu leur dynamisme initial. Le long règne de Dayan-khan, descendant de Qubilai et grand-khan probablement de 1488 à 1543 (tabl. 4), marque non seulement ce redressement des Mongols orientaux et leur réorganisation en une «aile gauche» (ou orientale) dominante et une «aile droite» (ou occidentale), comme il a toujours été de règle dans les empires nomades, mais en outre l’élimination définitive des princes d’ascendance non gengiskhanide, qui deviennent de simples fonctionnaires au service des Gengiskhanides. En effet, on peut relever, au cours des siècles suivants, que sur cent trente-cinq maisons princières au pouvoir chez les Mongols orientaux, cent six descendent par ligne agnatique de Dayan-khan, et donc par lui de Gengis-khan et de Qubilai, vingt-cinq des frères de Gengis-khan, et que quatre seulement sont étrangères à la lignée gengiskhanide (il s’agit des descendants de face="EU Caron" イelme, un des preux de Gengis-khan). À Dayan-khan remonte aussi la répartition actuelle des principaux groupes de Mongols orientaux: dans la future Mongolie Extérieure (actuelle République mongole), les Khalkha (ou Qalqa), qui vont bientôt occuper l’essentiel de ce territoire; dans la future Mongolie Intérieure, les face="EU Caron" アakhar (ou face="EU Caron" アaqar) des régions de Kalgan et du Dol 拏n-n 拏r, dirigés par la branche aînée des Dayanides, titulaire du titre de grand-khan; les Ordos, dans une zone à laquelle ils ont donné leur nom lorsqu’ils sont venus s’y installer durant la seconde moitié du XVe siècle, à l’intérieur de la boucle du fleuve Jaune; les Tümet, au nord des précédents.Cependant, l’œuvre de Dayan-khan n’a pu arrêter le processus d’émiettement et de désintégration dans lequel la nation mongole semble alors entraînée irrévocablement. Car la pratique successorale du partage des apanages (constitués chez les nomades en vassaux et serfs et en zones de pâturages) entre tous les fils du prince défunt – l’aîné étant toutefois favorisé – et les révoltes constantes, qui dressent frères et cousins les uns contre les autres, conduisent rapidement à une pulvérisation du pouvoir entre des khanats rivaux, parmi lesquels le khanat face="EU Caron" カakhar, dépositaire théorique de l’autorité suprême, ne parvient pas à affirmer sa prééminence.À ce stade pourtant, de nouveaux facteurs de redressement et de cohésion apparaissent, grâce à l’action du plus puissant des descendants de Dayan-khan, Altan-khan, souverain des Tümet de 1543 à 1581/1582 (ou 1583?), que soutient son petit-neveu, le prince ordos Qutuqtai-Se face="EU Caron" カen-qongtai face="EU Caron" グi (le bisaïeul du plus célèbre des historiographes mongols, Sagang-Se face="EU Caron" カen). Né sans doute en 1507, Altan-khan a été dès 1529 de ceux qui ont aidé son grand-père Dayan-khan à talonner jusqu’en terre chinoise les Ming, à l’intérieur de la Grande Muraille que ceux-ci élèvent pour se protéger contre les incursions des nomades. Assisté de déserteurs chinois, il accentue sa pression vers le milieu du XVIe siècle et menace même Pékin en 1550. Enfin, dans les années 1570, il obtient le résultat qu’il recherchait: des marchés frontaliers sont ouverts, où les chevaux et les pelleteries des steppes peuvent être échangés contre le thé, les céréales et les textiles de la Chine, et les Chinois acceptent de recevoir un tribut, plus profitable à celui qui le verse qu’à son destinataire.Au nord du fleuve Jaune, à l’orée des steppes, Altan-khan fonde la plus ancienne ville de Mongolie moderne (les villes des anciens empires nomades ayant été, telle Qaraqorum, détruites par les guerres): l’actuelle capitale de la Mongolie Intérieure, Köke-qota, la «Ville bleue» de son nom mongol (encore écrit Hühehot et, plus récemment, Hohhot selon la latinisation officielle en Chine populaire), jadis connue des Chinois comme Guihuacheng [Kouei-houa-tch’eng] ou comme Guisui [Kouei-souei] lorsqu’on l’a jumelée avec la place forte voisine de Suiyuan [Souei-yuan]. Enfin, ses conquêtes aux dépens des Oirat, dont profitent aussitôt les Khalkha, et aux dépens des Tibétains au Köke-n r (ou Koukou-nor) résolvent pour les Mongols orientaux le problème, constant chez les nomades, de l’expansion démographique et de la pénurie de pâturages.L’introduction du lamaïsme jauneToutefois, l’œuvre d’Altan-khan la plus lourde de conséquences pour l’avenir des Mongols fut l’introduction, ou plutôt la réintroduction, du bouddhisme sous la forme du lamaïsme tibétain réformé par Tsongkhapa (1356-1419), ou secte jaune (par opposition à la secte rouge ou lamaïsme non réformé de Padmasambhava). Certes, les nomades avaient déjà été touchés par l’influence du bouddhisme sino-indien dès une époque ancienne; puis au XIIIe siècle, à la cour des Yuan, sous le règne de Qubilai, son conseiller, le moine tibétain Phagspa-lama, avait fait triompher sur le bouddhisme chinois le lamaïsme tibétain de l’école de Saskya-pa. Mais, après leur expulsion de Chine, la régression des Mongols est telle que seules des bribes du lamaïsme rouge survivent, mêlées au chamanisme – la plus ancienne forme d’expérience religieuse des peuples des steppes et des forêts septentrionales.L’époque d’Altan-khan est favorable à un épanouissement religieux. Une certaine sécurité et la prospérité retrouvée font éprouver à la classe dirigeante des besoins culturels et somptuaires tout nouveaux, que le lamaïsme est en mesure de satisfaire par sa théologie élaborée, sa riche littérature, ses cérémonies impressionnantes, ses lieux de culte fastueux. Et les princes mongols s’y convertissent d’autant plus facilement que la théorie des renaissances selon les mérites accumulés au cours des existences antérieures justifie leur exercice du pouvoir en cette vie. Quant au peuple, il est contraint, par la force souvent, de suivre la religion de ses chefs et, bien vite, il trouve dans la piété et les superstitions une consolation à la dureté de son sort.La plus ancienne conversion est celle du prince des Ordos, Qutuqtai-Se face="EU Caron" カen-qongtai face="EU Caron" グi, en 1566, mais c’est celle d’Altan-khan, en 1578, qui est décisive, car, de ce moment, pouvoir temporel des Gengiskhanides et pouvoir religieux tibétain font cause commune, pour le plus grand profit de l’un comme de l’autre. Le souverain tümet invite à sa cour le troisième successeur de Tsongkhapa, Sodnam-Gyamtso (la lignée lamaïque étant celle des réincarnations), et lui octroie le titre mongol par lequel le chef de la secte jaune est désormais connu: celui de dalai-lama . En échange, il est proclamé réincarnation de Qubilai. Et lorsque le pontife meurt en 1588, son successeur est précisément découvert dans la descendance d’Altan-khan. Les autres princes des Mongols orientaux, et des Mongols occidentaux, font œuvre d’émulation pour retirer le plus grand prestige de la protection qu’ils accordent à l’Église. Ainsi, Abdai-khan (ou Abatai-khan), le fondateur du khanat khalkha le plus éminent – celui dit de Tüšietü-khan –, se fait introniser khan par le dalai-lama en 1578 et édifie en 1586 sur son propre territoire, au site historique de Qaraqorum, le plus ancien monastère de Mongolie, Erdeni- face="EU Caron" グ (dit, de nos jours, Erdene-z ). Quelques décennies plus tard, en 1639, ce sera dans sa descendance qu’un nouveau «Bouddha vivant» se révélera: le face="EU Caron" イebtsündamba-qutuqtu, dont la lignée des sept successeurs siégera à Urga, capitale de la Mongolie Extérieure, jusqu’à l’avènement du régime démocratique en 1924.De même que les conquêtes de Gengis-khan, l’adoption du lamaïsme par les Mongols peut être appréciée contradictoirement. Ferment d’un renouveau culturel et artistique brillant, l’Église jaune entrava, avec une vigilance tyrannique, le développement indépendant de la civilisation autochtone. Par son enseignement du respect dû à la vie, elle adoucit les mœurs, mais elle abâtardit pour longtemps les nomades en dégradant leurs traditions guerrières. Fondement d’un sentiment d’identité aussi fort, à travers tout le monde mongol, que le souvenir de Gengis-khan, elle se constitua rapidement en une institution séculière, en une puissance économique et politique d’un poids aussi oppressif pour le simple peuple que l’administration des princes: telle est, en une vue cavalière, la portée d’une évolution longue de deux siècles et demi, avant que les purges communistes de la fin des années 1930 ne jettent à bas le pouvoir de l’Église lamaïque en Mongolie Extérieure.L’intégration dans l’Empire sino-mandchou des QingLa conquête mandchoueUne vingtaine d’années après la mort d’Altan-khan, un prince face="EU Caron" カakhar, seul grand-khan authentique, Ligdan-khan, tentait à son tour de regrouper autour de lui les fiefs éparpillés et de mater les insoumissions (carte 5). Mais, à ce moment, le vent de l’histoire tournait au profit d’une troisième puissance barbare qui, après les Turcs et les Mongols, se lançait à la conquête des steppes et de la Chine: les Mandchous, peuple d’origine toungouse (tungus) parti des forêts de l’Asie orientale et qui, en 1644, fondait la dernière dynastie chinoise, celle des Qing.Se présentant en continuateur de l’œuvre gengiskhanide et en protecteur du lamaïsme, le souverain mandchou commençait par recueillir, entre 1628 et 1636, le ralliement volontaire des principales tribus de la Mongolie méridionale hostiles à Ligdan-khan; il écrasait les face="EU Caron" アakhar en 1634-1635 et s’appropriait leur sceau impérial par lequel il pouvait désormais légitimer son titre de grand-khan des Mongols.Les khanats khalkha qui, au nord, poursuivaient leur vie de rivalités, de guerres et de razzias, furent plus longs à se soumettre définitivement. Il fallut que leurs vieux ennemis, les Mongols occidentaux, unifiés alors en un redoutable khanat face="EU Caron" グ&ümacr;ngar («djoungar» selon l’appellation courante en français), envahissent leur territoire, en 1688 puis en 1690, pour que les princes khalkha, rétablis dans leurs pouvoirs par les armées mandchoues, se laissent séduire par la propagande du souverain Qing. Après que la conclusion du traité sino-russe de Ner face="EU Caron" カinsk en 1689 eut libéré la dynastie mandchoue d’un danger réel à sa frontière septentrionale et privé les Khalkha de l’espoir d’un secours extérieur, un accord solennel fut conclu en 1691 à Dol 拏n-n 拏r, en région face="EU Caron" カakhar, par lequel tous les princes des Mongols orientaux reconnaissaient la suzeraineté de l’empereur mandchou (tabl. 4).Hors de l’orbite chinoise restait encore le khanat face="EU Caron" グ&ümacr;ngar, dont la puissance égalait celle des Qing en Haute Asie. Le dernier acte de l’expansion mandchoue se joua en 1756-1757 avec l’écrasement d’une rébellion khalkha conduite par le prince face="EU Caron" アingün face="EU Caron" グav, l’extermination des Mongols occidentaux, puis, en 1759, l’annexion de la Kašgarie, pays turc et musulman vassal des face="EU Caron" イ&ümacr;ngar.La domination des QingDe la sinisation totale de la dynastie mandchoue allait résulter un étonnant paradoxe de l’histoire: c’était un peuple barbare qui donnait à la Chine l’hégémonie en Asie centrale, son rêve séculaire; et les nomades des steppes, en croyant se soumettre à l’un des leurs, se livraient en fait, sans le savoir, au pouvoir chinois. En effet, si les souverains Qing eurent pour règle de respecter l’organisation interne et le mode de vie des tribus mongoles destinées à les fournir en hommes de guerre, en pratique une immixtion chinoise croissante entraîna la Mongolie dans un assujettissement politique toujours plus étroit, la stagnation sociale et l’appauvrissement économique.L’organisation de la Mongolie, telle qu’elle se forme au XVIIIe siècle, est placée sous le signe d’une bureaucratisation à la chinoise. Les khans ont été définitivement affaiblis par une division égale de leurs pouvoirs entre de nombreux princes héréditaires, liés personnellement à la famille régnante mandchouetant par un serment d’allégeance lors de leur intronisation, confirmée par un diplôme impérial d’investiture, que par des mariages croisés et des collations, à la mode chinoise, de titres, d’honneurs, de présents. Ces princes commandent à des «bannières» ou khoš n (qošigun en mongol littéraire), intégrées dans le système politico-militaire mandchou des bannières, et ils dépendent d’un office central de type chinois siégeant à Pékin, le Lifanyuan ou «Cour régissant les pays feudataires». Leur combativité naturelle trouve à s’employer, à défaut des guerres intestines devenues impossibles, en de longs procès soumis au gouvernement central et en une abondante paperasserie de rapports et de plaintes, dont les Chinois ont toujours été friands. Les unités administratives ont désormais des frontières fixes, que matérialisent des relevés cartographiques envoyés périodiquement à Pékin par les chefs de bannières; et, pour la première fois, les nomades eux-mêmes se voient liés à la terre par une délimitation de leurs zones de pâturage et un raccourcissement de leurs parcours.Les Qing voulaient originellement couper les Mongols des influences étrangères qui eussent gâté leur simplicité primitive. Dans ce but ils avaient constitué, au XVIIIe siècle, la frontière russo-mongole en une zone militaire jalonnée de postes de garde, dont l’entretien était, d’ailleurs, une lourde charge pour le menu peuple. Jusqu’à l’installation d’un consulat russe à Urga en 1860, les Mongols ne purent donc avoir d’autres contacts qu’avec leurs maîtres sino-mandchous, lesquels avaient installé la capitale politique dans l’ouest du pays, à Uliasutai. La venue même des commerçants chinois était prohibée sévèrement. Mais les lois restrictives et les mesures administratives ne purent empêcher les marchands de s’introduire peu à peu dans cette zone, vierge pour eux, et de ruiner princes et bergers par des transactions d’une honnêteté souvent douteuse et par des prêts usuraires à intérêts exorbitants. À partir du XIXe siècle, des colons chinois aussi s’installèrent au-delà de la Grande Muraille, s’appropriant les meilleurs pâturages pour les emblaver et repoussant les éleveurs mongols graduellement plus loin vers le nord.En dépit de ces facteurs de transformation, la structure de la société mongole s’était peu modifiée depuis la perte de l’indépendance, car la politique conservatoire des Qing avait résolument sauvegardé les rapports de servage qui liaient l’ensemble de la paysannerie nomade – de ceux qu’on a coutume d’appeler les arat – à l’aristocratie des princes laïques et des grands lamas. Cependant, les marques de cette dépendance, impôts en nature et corvées personnelles, s’alourdissaient à mesure que la principale richesse de la Mongolie, le bétail, était drainée par les usuriers chinois et que, dans la dégénérescence générale du pays, s’accentuaient l’arbitraire des princes et la décadence morale du clergé.À l’orée du XXe siècle, la Mongolie était, semble-t-il, un pays arriéré, considérablement appauvri, en régression démographique par suite de l’ampleur du recrutement religieux et du mauvais état sanitaire. La seule puissance organisée hors du pouvoir mandchou était l’Église lamaïque, détentrice de tout un peuple de serfs, les šabi , vivant, soit dans les bannières des princes, soit dans les vastes terres franches des grands dignitaires ecclésiastiques. Mais la culture qu’elle diffusait était tibétaine; et, par décision des autorités Qing, son chef suprême en région khalkha, le face="EU Caron" イebtsündamba-qutuqtu d’Urga, était, depuis sa troisième réincarnation, trouvé au Tibet. Les voyageurs occidentaux qui s’aventuraient dans les steppes prédisaient, pour la plupart, la prochaine disparition des Mongols et de la Mongolie.Cependant, quelques princes, des lamas – surtout du bas clergé – et des hommes du commun devenaient conscients du malaise social, qui s’exprimait en de brèves flambées de violence et en un banditisme endémique, et ils cherchaient à s’unir. Mais, à cette époque, leur action se limitait à des pétitions de protestation d’un objet limité, qu’ils signaient, trait caractéristique de leurs organisations, par leurs noms disposés en cercle pour qu’aucun d’entre eux ne puisse être puni comme chef.4. La Mongolie IntérieureDans les derniers jours de 1911, la République est proclamée en Chine. Les princes khalkha, qui ne s’étaient jamais sentis liés qu’à leur suzerain Qing, se déclarent aussitôt indépendants de la Chine. De ce jour, le destin des trois unités nées des conquêtes mandchoues en Asie centrale va se séparer (carte 6). La Mongolie Intérieure, formée des tribus méridionales ralliées dès les premières décennies du XVIIe siècle, restera définitivement engluée dans le monde chinois, quels que soient ses efforts pour s’en dégager. Il en sera de même pour le Xinjiang (ou Turkestan chinois), créé en 1884 dans les territoires des anciennes Djoungarie et Kashgarie, régions en majorité musulmanes depuis que les massacres de 1756-1757 y ont décimé l’élément mongol. Au contraire, la Mongolie Extérieure, composée en majorité des Khalkha soumis aux Qing en 1691, va évoluer vers une indépendance, que garantira la Russie puis l’Union soviétique, et elle deviendra la République populaire de Mongolie (R.P.M.), puis République mongole.Les autres peuples de souche mongole – si l’on excepte la poignée des Mogh 拏l d’Afghanistan – vivaient en 1989 en Union soviétique: les Kalmouks de la Volga, issus des Oirat, au nombre de 174 000, et les Bouriates de Sibérie, qui comptaient 421 000 individus.La diaspora, commencée dès l’époque de Gengis-khan, a donc entraîné les Mongols dans des mondes culturels variés. Pourtant, du XIIIe siècle à nos jours, une civilisation homogène les unit dans le temps et dans l’espace. Et ce trait rend attachante une étude des coutumes et de la culture des Mongols à l’ère contemporaine.Sous le régime républicainEn Mongolie Intérieure (tabl. 5), le problème de la sauvegarde des traditions face à la modernisation s’est posé en des termes tout particuliers. La suzeraineté, déjà lourde, des Qing s’était transformée, dès les débuts de la République chinoise, en une emprise tyrannique et destructrice de l’ordre ancien. Les six confédérations, dans lesquelles étaient groupées depuis plus de deux siècles les quarante-six bannières de Mongolie Intérieure, ainsi que les tribus tümet et face="EU Caron" カakhar rattachées antérieurement au gouvernement central, furent transformées en provinces chinoises, où les «seigneurs de guerre» chinois firent la loi: la Mongolie Intérieure était alors rayée de la carte politique. Et elle était menacée de disparition physique par suite des empiétements des agriculteurs chinois qui envahissaient, plus nombreux chaque année, les terres quelque peu fertiles et rejetaient les nomades dans les zones arides.Les Japonais, qui en 1931 s’emparaient de la Mandchourie et visaient à l’hégémonie en Asie orientale, virent tout le parti à tirer de la situation. Leur intense propagande sur les thèmes du panmongolisme (ils prônaient la création d’une «Grande Mongolie» qui aurait englobé tous les Mongols de Chine, de R.P.M., d’U.R.S.S.), d’un lamaïsme militant contre le communisme, de la suspension de la colonisation chinoise, porta bientôt ses fruits. Le principal leader nationaliste conservateur, le prince De [Tö], originaire d’une des dernières régions de Mongolie Intérieure non sinisée, le nord du face="EU Caron" アakhar, se rallia en 1935; et peu après les Japonais purent étendre leur conquête plus à l’ouest. Mais les Mongols ne furent pas réunis en un seul État autonome, comme ils l’espéraient. Et les brutalités des militaires, l’incompréhension des dirigeants japonais devant le problème du nomadisme aliénèrent vite à l’occupant les sympathies qu’il avait d’abord gagnées.Sous le régime populaireÀ la défaite des puissances de l’Axe, ce fut le communisme qui l’emporta assez rapidement, sous l’action d’Ulanfu (ou plutôt Ulanhu selon la latinisation maintenant officielle en R.P.C., de son vrai nom Yunze [Yun-tsö], 1906-1988), un leader originaire de la région sinisée des Tümet, où les Mongols, convertis à l’agriculture depuis la fin du siècle dernier, avaient maintenu une tradition de révoltes, en union avec les paysans chinois, contre les propriétaires tant mongols que chinois.La Mongolie Intérieure renaît alors, en 1947, sous la forme d’une «Région autonome de Mongolie Intérieure», ou R.A.M.I., qui, englobant pour la première fois les régions mongoles de Mandchourie, s’étend, à partir de 1956, sur 2 800 kilomètres de long et 500 kilomètres de large en bordure de la R.P.M. et de l’U.R.S.S. (environ 1 777 000 km2 ou 1 400 000 km2, selon les époques, 500 km de frontières communes avec l’U.R.S.S., 200 km avec la République populaire de Mongolie). Sa capitale est, depuis 1952, Hühehot (dit maintenant Hohhot), une agglomération double (280 000 hab. en 1959, 1 441 641 en 1990) qui réunit la vieille ville de Köke-qota remontant au XVIe siècle et l’ancienne cité administrative de Suiyuan devenue centre industriel: le 27 août 1981, Hohhot célébrait par une brillante fête de style mongol le quatre-centième anniversaire de sa fondation.Des villes nouvelles sont sorties de la steppe, telle Xilinhot (dite, plus classiquement, S face="EU Caron" クlinkhot, localisée au siège de la bannière d’Abaganar à 450 km au plein nord de Beijing [Pékin]), un but régulier d’excursion pour les touristes étrangers en mal de steppe. L’industrialisation a rapidement progressé, en particulier à Baotou [Pao-t’eou], ancien point de départ des caravanes, et maintenant grand complexe sidérurgique et deuxième station nucléaire de la R.P.C., ou, plus récemment, à Erenhot (Erlian en chinois) qui, à l’entrée en Chine du transsibérien-transmongolien joignant Moscou à Pékin, est devenu, depuis 1985, un gros centre d’industrie chimique; ou encore Wuhai, autre complexe chimique, sur le cours le plus occidental du fleuve Jaune, lequel offre là, à son entrée en Mongolie Intérieure, de vastes potentialités hydrauliques.Ce mouvement de modernisation a été surtout l’œuvre d’immigrants chinois, dont tous n’ont pas été des volontaires, loin de là. Ainsi, les «jeunes instruits» (des adolescents ayant juste terminé l’école secondaire) des grandes villes de la côte ont été envoyés là massivement dans le courant des années 1960, et les «Corps de production et de construction» de l’Armée populaire de libération ont été implantés officiellement dans la steppe en mai 1969.Les Mongols sont devenus, de la sorte, sur leur propre territoire une minorité toujours plus faible. Alors qu’ils formaient, dit-on, près de la moitié de la population de la Mongolie Intérieure à l’avènement du régime populaire, ils n’en constituent plus qu’un sixième au début des années 1990 (tabl. 6 et 7).La révolution culturelleLes débuts d’une rude politique d’intégration remontent à 1958. Durant la révolution culturelle, à partir de 1966, le conflit semble avoir été plus sanglant encore qu’ailleurs entre parti et gardes rouges; et il s’est compliqué d’un facteur supplémentaire: le «nationalisme local» dénommé à l’époque «révisionnisme», «factionnalisme», «anarchisme», éléments les plus inavouables de la lutte des classes. L’armée a joué aussi un rôle plus marquant, en raison de la crainte qu’inspiraient la proximité soviétique et la menace, vraie ou fausse, d’un séparatisme mongol. Le comité révolutionnaire de Mongolie Intérieure a été mis en place tardivement (à la fin de 1967). Les responsables mongols, Ulanhu en premier, ont été démis de leurs postes, emprisonnés le plus souvent; les cadres chinois aussi.En août 1969, la Région autonome était dépecée (carte 7): sur les sept «ligues» (meng ) qui la composaient, les trois orientales étaient rattachées chacune à une province voisine, afin d’en faciliter le contrôle, et, à l’ouest, le désert d’Alašan (ou Alxan selon l’orthographe maintenant imposée en R.P.C.) était partagé entre Gansu (à proximité des champs pétrolifères de Yumen et du centre de lancement de missiles de Jiayuguan) et Région autonome Hui (musulmane) du Ningxia. Le district militaire de la Région autonome de la Mongolie Intérieure survivante (450 000 km2) était placé sous l’autorité directe de Pékin. La politique de promotion de la langue et de la culture mongole, pratiquée dans une certaine mesure au début du régime, était condamnée comme un déviationnisme dû à la clique de Liu Shaoqi.L’action d’Ulanhu (ou Ulanfu)La principale personnalité locale visée par les attaques de 1966-1968 était Ulanhu, membre du Parti communiste chinois depuis 1925, écrivain prolixe sur les questions des minorités ethniques, vice-Premier ministre au gouvernement central, maître du parti, de l’administration et de l’armée en Mongolie Intérieure. Sinisé au point de n’avoir appris la langue de ses ancêtres que dans les années 1960, il s’est vu reprocher d’être, avec ses assistants chinois et mongols, un partisan de la ligne de Liu Shaoqi et de Deng Xiaoping. N’avait-il pas, entre autres, tenté d’adoucir le rigueurs de la politique d’assimilation culturelle et d’élimination du pastoralisme nomade imposée par le Grand Bond en avant, à la fin des années 1950?Il reparaît à l’occasion du Xe congrès du parti en 1973; et, à partir de 1977, il prend rang au bureau politique du comité central, à la suite de Deng Xiaoping, mais ne recherche plus le pouvoir en Mongolie Intérieure. Du reste, il y est remplacé par son fils Buhe, qui est président de la Région autonome depuis 1983. Lui est au comité central, directeur de l’organisme chargé des rapports entre le parti et les minorités de tout genre – ethniques, religieuses, sociales ou intellectuelles –, le Département du travail du Front uni. Et, comme tel, c’est lui qui a le privilège, en janvier 1979, d’annoncer à toute la nation la décision de restaurer la bourgeoisie dans ses droits. La proclamation de sa propre réhabilitation et de celle de ses partisans occupe activement l’opinion publique officielle en Mongolie Intérieure en 1978 et en 1979, tandis que les principes condamnés depuis dix ans y sont remis à la mode: protection des zones pastorales et restitution aux éleveurs des pâturages indûment convertis à l’agriculture; autorisation de l’élevage privé (au début de 1979); enseignement du mongol parlé et écrit dès l’école primaire et pratique de la langue nationale dans la vie publique de la Région autonome.Le renouveau culturel s’est affirmé dès lors d’année en année, dans tous les domaines et à tous les niveaux. Ainsi, l’école de Tümet, réputée depuis sa fondation en 1724 pour avoir formé nombre de patriotes, a été rouverte en février 1979 comme école secondaire mongole. En 1991, les Mongols pouvaient s’enorgueillir d’être la première des ethnies non Han (non chinoise) de la R.P.C. à bénéficier d’une série complète de manuels en sa langue, depuis l’école primaire jusqu’à l’université. La recherche dans les sciences sociales et dans l’histoire nationale est chaudement encouragée: à Hohhot sont successivement créés une association philosophique (à la fin de 1978), une Académie des sciences sociales de Mongolie Intérieure et une société d’histoire mongole (août 1979), une société d’études ethnologiques (mai 1980), un institut de recherche sur l’histoire de la culture mongole (janv. 1981), un groupe de recherche sur l’histoire de la philosophie et de l’idéologie sociale traditionnelle en Mongolie (juill. 1982), ou, plus tard, une société de littérature mongole, etc. Et les grandes œuvres de la tradition héroïco-épique autochtone sont publiées en versions multiples et commentées à l’occasion de congrès commémorant leur création.Les lamaïstes, en Mongolie Intérieure et dans l’ouest de la Chine, ont profité d’une libéralisation religieuse qui est allé en s’accentuant au fil des ans. En février 1979, pour la première fois depuis quinze ans, le plus célèbre des monastères tibéto-mongols, le Kumbun (en chinois Da’ersi), au Qinghai, aux marges du Tibet, célèbre durant cinq jours, pour une assistance nombreuse et bigarrée, la fête des Lanternes. Le temple lamaïque de Pékin, le Yonghegong qui date de 1694, reprend ses services religieux, après avoir été réparé. Les quarante-neuf monastères lamaïques subsistant en Mongolie Intérieure sont mis aussi en restauration: sur les dix-neuf ouverts aux touristes vers le milieu des années 1980, deux au moins (ceux que les Chinois dénomment Xilituzhao et Dazhao) ont été, en 1984, rendus au culte à Hohhot; et, depuis lors, ils sont desservis par les vingt-six jeunes moines ordonnés en 1983, après deux années d’études au Yonghegong de Pékin, pour prendre le relais des treize derniers survivants (âgés de 75 à 87 ans) de l’énorme clergé lamaïque qui pullulait dans l’ancienne Mongolie Intérieure.Les autres religions pratiquées en Mongolie Intérieure, l’islam, le catholicisme, le protestantisme, ressentent, tout comme le lamaïsme, les bienfaits et les limites de la nouvelle politique religieuse: une liberté totale de la liturgie célébrée par un clergé salarié à l’intérieur d’édifices cultuels officiels, mais des entraves multipliées à l’exercice de la fonction religieuse hors du cadre contrôlé par l’État. Cependant, l’évêque (catholique romain) de Hohhot, Mgr François Wang (Wang Xueming, né en 1911), formé et légalement consacré, avant l’arrivée du communisme, par les missionnaires belges de Scheut, a conduit, en novembre 1985, la première mission épiscopale chinoise venue en Europe renouer avec la tradition romaine et les anciens missionnaires de Chine. Il a alors révélé que les vocations sacerdotales étaient abondantes en Mongolie Intérieure, mais qu’il n’avait pu en accepter que vingt, pour la première année du séminaire de Mongolie Intérieure en 1986.Autre exemple de réconciliation avec le passé: un ci-devant prince gengiskhanide, O face="EU Caron" カir-khuyagt, descendant à la trente-deuxième génération du Conquérant du monde, né avec le siècle, qui s’était rallié au régime dès les débuts et avait quelque temps servi dans la Région autonome avant la révolution culturelle, a été élu en 1983 au comité permanent de l’Assemblée régionale. Et, dans un ordre d’idée similaire, la tendance est, depuis 1984, au rétablissement de la toponymie autochtone traditionnelle.L’événement le plus spectaculaire de la fin des années 1970 a été, le 1er juillet 1979, le rétablissement de la Région autonome dans les frontières qui étaient les siennes, à l’est comme à l’ouest, avant 1969, et le retour à une division du territoire en aimag (dits meng en chinois) – des «ligues» ou «confédérations» (équivalentes aux zhou ou «préfectures» dans le reste de la Chine), au nombre de neuf au début des années 1980. Celles-ci sont subdivisées à leur tour en khoš n (ou qošigun , en chinois qi ), des «bannières» similaires, ou à peu près, aux xian («souspréfectures») de la Chine propre, et dontcertaines garantissent à leur population, d’une ethnie distincte de la majorité mongole, un statut d’autonomie (il en est ainsi pour les Daur, les Oro face="EU Caron" カen et les Evenq), de même que quelques groupes mongols sont constitués en xian autonomes dans les provinces limitrophes de la Région autonome (carte 8).Dans les années 1980, l’événement a été, le 31 mai 1984, l’adoption d’une loi nationale sur l’autonomie régionale, qui avait pour but de décentraliser les processus de décisions administratives et économiques au bénéfice des organismes régionaux des minorités ethniques, et de respecter mieux que par le passé les spécificités des territoires qui leur avaient été attribués. En Mongolie Intérieure, priorité a alors été donnée à l’industrie de transformation des produits d’origine animale ou végétale, à l’utilisation de l’énergie éolienne et solaire, à l’élevage, à l’afforestation, à la reconstitution des pâturages dans les zones où l’on avait tenté, durant les deux ou trois décennies précédentes, d’introduire, contre toute logique, la grande culture céréalière. La privatisation du cheptel et de la petite agriculture a été autorisée dans une mesure limitée, et un système de responsabilité individuelle a donné à l’éleveur, comme au paysan, un intéressement dans le résultat final.Les problèmes posés par l’autonomie régionale ne sont, cependant, pas simples à dénouer, car la théorie selon laquelle les autochtones devraient être maîtres chez eux est en contradiction avec les besoins économiques de l’État, alors que la Mongolie est un réservoir de ressources énergétiques et minérales considérables dont le plein emploi est loin d’être atteint.Pour satisfaire aux exigences nationales, quelques zones ont été choisies afin qu’y soient poussés la modernisation économique et les investissements financiers: au nord-ouest de la Région autonome, le Hulun-buir, région de steppe montagneuse entre République mongole, Sibérie et Mandchourie; à l’ouest, l’espace pétrolifère d’Erenhot (ou Erlian) au débouché du transsibérien-transmongolien; les mines de charbon du nord-ouest de l’Ordos en face="EU Caron" イungar, dans la grande boucle du fleuve Jaune, à proximité de Baotou; l’aire couverte par le nouveau complexe industriel de Wuhai à l’ouest de l’Ordos, sur le fleuve Jaune à sa sortie du Ningxia. Un autre remède a été d’encourager la Région autonome en général, et chacune de ses entreprises en particulier, à nouer des liens économiques avec les entreprises industrielles et commerciales florissantes de la Chine côtière ou, mieux encore, avec des investisseurs étrangers, américains ou japonais par exemple.Le commerce frontalier a repris officiellement avec l’U.R.S.S. au printemps de 1988, après une interruption de trente ans. Un accord d’échange commercial, le premier de ce genre, a été signé entre Région autonome et République populaire de Mongolie, le 7 novembre 1985, et, depuis lors, ses applications n’ont cessé de se diversifier. En mai 1990 s’ouvrait une ligne de chemin de fer entre Hohhot et Ulan-Bator, qui reliait la Mongolie Intérieure au trafic international. Le voisinage de la République populaire de Mongolie, où les frères de race jouissaient d’un régime indépendant malgré la tutelle soviétique, avait été la cause d’une méfiance alourdie durant la révolution culturelle; à l’heure de la détente, il a justifié au contraire un traitement plus favorable, afin que la Mongolie Intérieure devienne une vitrine tentante pour sa voisine du Nord et pour que les Mongols de Chine se détournent du démon de l’indépendantisme. Celui-ci est réapparu, cependant, crûment au lendemain de la répression du mouvement démocratique sur la place Tiananmen: les années 1990 et 1991 sont marquées, à Hohhot et dans les autres villes, par des manifestations de rue et des slogans antichinois. La répression policière semble avoir été assez efficace pour que Pékin n’ait, ensuite, pas peur d’ouvrir largement les portes entre les deux Mongolies, dans l’espoir que ses propres Mongols vont l’aider à conquérir le marché de la République mongole, émancipée de Moscou et du communisme depuis 1990.
Encyclopédie Universelle. 2012.